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« Tenez, dit Swann[1]
[…] je relisais ce matin dans Saint-Simon[2]
quelque chose qui vous aurait amusé. C’est dans le volume sur son ambassade
d’Espagne ; ce n’est pas un des meilleurs, ce n’est guère qu’un journal, mais
du moins un journal merveilleusement écrit, ce qui fait déjà une première
différence avec les assommants1 journaux que nous nous croyons
obligés de lire matin et soir. » – « Je ne suis pas de votre avis, il y a des
jours où la lecture des journaux me semble fort agréable... », interrompit ma
tante Flora, pour montrer qu’elle avait lu la phrase sur le Corot[3]
de Swann dans le Figaro[4]. « Quand ils
parlent de choses ou de gens qui nous intéressent ! » enchérit ma tante
Céline. « Je ne dis pas non, répondit Swann étonné. Ce que je reproche aux
journaux, c’est de nous faire faire attention tous les jours à des choses
insignifiantes tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les
livres où il y a des choses essentielles. Du moment que nous déchirons
fiévreusement chaque matin la bande du journal, alors on devrait changer les
choses et mettre dans le journal, moi je ne sais pas, les... Pensées de Pascal ! (il détacha ce mot
d’un ton d’emphase ironique pour ne pas avoir l’air pédant). Et c’est dans le
volume doré sur tranches que nous n’ouvrons qu’une fois tous les dix
ans », ajouta-t-il en témoignant pour les choses mondaines ce dédain
qu’affectent certains hommes du monde, « que nous lirions que la reine de
Grèce est allée à Cannes ou que la princesse de Léon a donné un bal costumé.
Comme cela la juste proportion serait rétablie. » Mais regrettant de s’être
laissé aller à parler même légèrement de choses sérieuses : « Nous avons une
bien belle conversation, dit-il ironiquement, je ne sais pas pourquoi nous
abordons ces ‘sommets’ »
Marcel Proust, Un amour de Swann (1913)
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a) Répondez brièvement aux questions suivantes (3-5 lignes maximum
chacune).
(3
points)
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1) Selon Swann, quelle est la
place que les oeuvres comme les Pensées
de Pascal devrait avoir pour nous? (1 point)
2)
Que peut-on déduire du contenu
des journaux de l’époque par rapport à ceux d'aujourdhhui ? (1 point)
3)
Quel lien pouvez-vous établir
entre le type de journaux ici décrit et ceux que Charles ou Emma Bovary
lisaient ? (1 point)
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b) Rédaction : Choisissez
l’un des deux sujets 1 ou 2 (250 mots). (2
points)
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1. À votre avis, la vision des journaux
donnée dans ce texte du début du XXe siècle est-elle toujours valable
aujourd’hui ? (1 point)
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[1] Charles Swann est un personnage de À la recherche du temps perdu
de Marcel Proust. Charles Haas
serait l’un des modèles retenus par l’écrivain pour ce personnage.Dandy roux
aux yeux verts, portant la moustache et un monocle discret et élégant, grand
connaisseur dans le domaine de l'art, Swann est le type même de l’homme fin et
distingué qui ne se vante jamais de ses relations
[2] Claude Henri de Rouvroy,
comte de Saint Simon, né à Paris le 17 octobre 1760 et mort le 19 mai 1825, est un économiste et philosophe français,
fondateur du saint-simonisme.
Ses idées ont eu une postérité et une influence sur la plupart des philosophes
du xixe siècle.
Il est le penseur de la société industrielle française, qui était en train de
supplanter la société d'Ancien Régime. L'historien
André Piettre1
le décrit par la formule : « le dernier des gentilhommes et le
premier des socialistes ».
[4] Le
Figaro est un journal français fondé en 1826 sous le règne de Charles X. Il
est à ce titre le plus ancien quotidien
français encore publié. Il
a été nommé d'après Figaro,
le personnage de Beaumarchais,
dont il met en exergue la réplique : « Sans la liberté de blâmer, il
n'est point d'éloge flatteur. »
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