Voilà bien des années
déjà que l’auteur de ce livre, forcé, à regret, de parler de lui, est absent[1]
de Paris. Depuis qu’il l’a quitté, Paris s’est transformé[2].
Une ville nouvelle a surgi qui lui est en quelque sorte inconnue. Il n’a pas
besoin de dire qu’il aime Paris ; Paris est la ville natale de son esprit.
Par suite des démolitions et des reconstructions, le Paris de sa jeunesse, ce
Paris qu’il a religieusement emporté dans sa mémoire, est à cette heure un
Paris d’autrefois. Qu’on lui permette de parler de ce Paris-là comme s’il
existait encore. Il est possible que là où l’auteur va conduire les lecteurs en
disant : « Dans telle rue il y a telle maison », il n’y ait plus
aujourd’hui ni maison ni rue. Les lecteurs vérifieront, s’ils veulent en
prendre la peine. Quant à lui, il ignore le Paris nouveau, et il écrit avec le
Paris ancien devant les yeux dans une illusion qui lui est précieuse. C’est une
douceur pour lui de rêver qu’il reste derrière lui quelque chose de ce qu’il voyait
quand il était dans son pays, et que tout ne s’est pas évanoui. Tant qu’on va
et vient dans le pays natal, on s’imagine que ces rues vous sont indifférentes,
que ces fenêtres, ces toits et ces portes ne vous sont de rien, que ces murs
vous sont étrangers, que ces arbres sont les premiers arbres venus, que ces
maisons où l’on n’entre pas vous sont inutiles, que ces pavés où l’on marche
sont des pierres. Plus tard, quand on n’y est plus, on s’aperçoit que ces rues
vous sont chères, que ces toits, ces fenêtres et ces portes vous manquent, que
ces murailles vous sont nécessaires, que ces arbres sont vos bien-aimés, que
ces maisons où l’on n’entrait pas on y entrait tous les jours, et qu’on a
laissé de ses entrailles, de son sang et de son cœur dans ces pavés. Tous ces
lieux qu’on ne voit plus, qu’on ne reverra jamais peut-être, et dont on a gardé
l’image, prennent un charme douloureux, vous reviennent avec la mélancolie d’une
apparition, vous font la terre sainte visible, et sont, pour ainsi dire, la
forme même de la France ; et on les aime et on les invoque tels qu’ils
sont, tels qu’ils étaient, et l’on s’y obstine, et l’on n’y veut rien changer, car
on tient à la figure de la patrie comme au visage de sa mère.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire